PARCHIKOV Tim

Magnitogorsk

Russie

2011Carte blanche de Laura Sérani

Magnitogorsk est un enfant d’une des plus grandes utopies du XX siècle. C’était la première grande « monoville » (ville industrielle crée autour d’une usine), née dans les années 30 au milieu de nulle part dans le sud de l’Oural encerclant le Mont d’Aimant (d’où vient son nom). Cette montagne était une anomalie magnétique – elle était entièrement constituée de fer. Magnitogorsk, traversé par la rivière Oural, divise les continents : sa rive droite est en Europe, sa rive gauche – en Asie.

Au départ on voulait prendre pour modèle les grandes citées métallurgiques américaines, comme Pittsburgh, on avait même invité des spécialistes américains. Mais la situation politique ayant vite changé, les étranges ont été expulsés. C’était alors devenu la grande construction du deuxième et troisième plan quinquennal, un des sujets majeurs de la propagande soviétique.

On en garde beaucoup d’images car les meilleurs photographes russes des années 30 y ont été envoyés. Pourtant, et ce que l’on a du mal à dissimuler sur ces images, la main-d’œuvre était majoritairement constituée de prisonniers du Goulag.

Aujourd’hui le Mont d’Aimant est un énorme fossé. Tout le fer a été extrait. Les matières brutes viennent du Kazakhstan. La population atteint un demi-million d’habitants. C’est une des villes les plus polluées au monde. Elle est constamment engloutie par une légère brume qui rend la lumière chaude et lui donne des teintes rosées. C’est toujours une « monoville », et elle dépends plus que jamais de son usine. En effet l’usine contrôle tous les petits et moyens business, qui appartiennent aux dirigeants de l’usine ou en sont dépendants. L’usine construit l’aéroport, choisie le maire, entretiens l’équipe de hockey sur glace, s’occupe de la propagande du parti de pouvoir.

La ville et ses habitants semblent figés dans le temps. L’utopie est enterrée. Il n’y a plus d’illusion, mais on ne vois pas de désillusion non plus. Les gens ont l’air d’avoir oublié les années 90, comme si celles ci n’avaient jamais eu lieu. Ils savent que leur situation est fébrile, qu’une nouvelle crise économique, la concurrence de la métallurgie chinoise ou un désaccord politique entre la Russie et le Kazakhstan peuvent emmener l’usine à la faillite et donc la ville à un désastre économique et humanitaire. C’est cette menace cachée mais au même temps très présente que j’ai vu à Magnitogorsk.

Il y a en Russie plus de 200 « monovilles ». Il y a celles qui sont mortes, où la population a diminuée et les survivants sont sans emplois et alcooliques. Ils y a celles, énormes comme Toliatty, où le gouvernement essaye d’éviter une catastrophe humanitaire à coups de milliards de dollars chaque année. Et il y en a qui survivent pour le moment, mais qui marchent sur le fil du rasoir, dont la fin est peut-être très proche, comme Magnitogorsk.

à propos de l'artiste

Tim PARCHIKOV est né le 3 août 1983 à Moscou. Il est diplômé de l’Institut du cinéma et des Cours supérieurs de réalisateurs et scénaristes de Moscou. Il travaille comme photographe indépendant, réalisateur et chef opérateur dans le cinéma documentaire et de fiction, entre Paris et la Russie. Depuis 2006, il a participé à plusieurs expositions collectives et personnelles en Europe.